Aujourd’hui, Raymond Domenech n’a plus aucune fonction officielle dans le football. Pourtant, son nom est sur toutes les lèvres, son livre dans toutes les mains. L’ancien sélectionneur de l’équipe de France, revenu sur le devant de la scène avec la sortie de son livre « Tout seul » en novembre dernier, fascine. Il ne laisse personne indifférent, qu’on l’aime, qu’on le déteste ou que l’on aime le détester.
Fils de Raimundo, militant anti-franquiste catalan entré illégalement en France après la Seconde Guerre mondiale, et de Germaine, d’origine pied-noir, Raymond Domenech s’est forgé son caractère dans cette famille modeste. Avec un père fondeur et une mère ouvrière, le jeune Raymond a grandi à Lyon, dans une cité HLM, entouré de ses trois frères et de sa demie-soeur. C’est donc dans cet environnement que le lyonnais a fait ses premiers pas dans le football. En bas des tours du quartier des États-Unis. Très tôt, il se forge un caractère de dur à cuire. Tout d’abord chez lui, lorsque ses parents divorcent et qu’il prend le rôle de chef de famille. Ensuite sur le terrain où il comble son manque de technique par une hargne et une envie débordante. Cette détermination sans bornes le mènera très tôt à une place de titulaire à l’Olympique Lyonnais, le club de sa ville. Latéral de son état, Raymond Domenech arbore fièrement une énorme moustache qui lui permet de jouer avec la réputation de mauvais garçon qu’il traîne. Il faut dire que pour son premier match en Division 1 contre Nice, il casse la jambe du pauvre Helmut Metzler. Ainsi, il hérite d’un surnom qui le suivra toute sa carrière : « le boucher ». Plus reconnu par ses fautes et son côté volontairement provocateur, que par son talent, le latéral connaîtra tout de même 8 sélections en équipe de France et 16 ans au plus haut niveau couronnés de 536 matchs et de 20 buts. Pas mal pour un défenseur. Un caractère en fer forgé, un charisme, un meneur d’homme. Tout chez lui le poussait à devenir entraîneur. Il le sera à Mulhouse, à Lyon et en équipe de France. Chez les espoirs tout d’abord avant le Graal de sa carrière : l’équipe de France A. Et c’est vraiment à partir de ce moment-là que le personnage Domenech prendra toute son ampleur.
Un personnage qui déplaît
Août 2005, après un début d’éliminatoires plus que décevant, Raymond Domenech réussit son premier coup d’éclat en tant que sélectionneur. Il fait sortir les légendes de 98 qu’étaient Zinédine Zidane, Lilian Thuram ainsi qu’un autre vétéran, seulement champion d’Europe en 2000, Claude Makelele de leur retraite. Première victoire hors du terrain qui en appellera d’autres, ultra-importantes dans la qualification pour la Coupe du Monde allemande de 2006. Cette Coupe du Monde, ce sera celle de Raymond Domenech. Celle où il emmènera la France jusqu’en finale après avoir vaincu les favoris espagnols ou brésiliens. Pour les français, cette épopée rappelle celle de 1998. La défaite en finale contre l’Italie ne changera pas fondamentalement la perception de l’événement. Raymond Domenech et l’équipe de France sont applaudis. Pourtant, l’été 2006 va marquer un tournant dans la carrière de Raymond Domenech en même temps qu’un virage important dans l’histoire de l’équipe de France. Les cadres (re)partent en retraite, une nouvelle génération va prendre le dessus, les résultats sont de plus en plus décevants et on commence à apercevoir les limites du personnage Domenech. Effectivement Bruno Godard, journaliste et auteur de Domenech : histoires secrètes d’une imposture évoque une « vaste fumisterie » lorsqu’il s’agit de l’aura de Raymond Domenech. Bon comédien, communicant extrêmement stratège, Raymond Domenech a, selon Bruno Godard « basé sa vie sur une série d’impostures, utilisant à merveille la société médiatique » en se basant sur ce que « Guy Debord appelait la société du spectacle ». Se donner en spectacle, Raymond Domenech apprécie. Le cas le plus flagrant fut sa demande en mariage en direct à la télévision à sa compagne Estelle Denis quelques minutes après une navrante élimination de l’Euro face à l’Italie. Il faut dire que Raymond Domenech a gardé son côté provocateur qu’il avait lorsqu’il était joueur. Le lyonnais ne mâche pas ses mots, ne s’interdit rien. Il traitera d’ailleurs Jean-Michel Larqué de « vieux rabougri » avant d’attaquer Bixente Lizarazu de la sorte : « Que ce soit sur le terrain ou à la radio tu as toujours été une merde ». De ces incartades verbales, les médias en feront leur choux gras. Raymond Domenech détonne. Mais il détonne tellement qu’il commence à énerver ces mêmes médias qui n’hésiteront pas à lancer une cabale médiatique contre lui. RMC, l’Équipe et TF1 en tête. Pourtant, Raymond Domenech résistera. Pire, il mènera l’équipe de France à la débauche en Afrique du Sud lors de la Coupe du Monde 2010 en jouant toujours sur son côté faussement intellectuel et hautain.
« l’antithèse de ce sport »
Bruno Godard, toujours lui, n’est d’ailleurs pas tendre sur cette facette de l’ancien sélectionneur : « On a décidé un jour que Domenech était intelligent, qu’il était différent, qu’il était fin tacticien et tout le monde, ou presque l’a cru. Les médias, les cadres de la FFF et de nombreux supporters ont cru à ce postulat alors que Domenech n’est ni plus, ni moins intelligent qu’un autre. Les gens qui connaissent et qui aiment vraiment le football ne l’aimaient pas quand il était joueur et ne l’ont jamais apprécié en tant qu’entraîneur. Car il est l’antithèse de ce sport. Ceux qui le défendent et qui l’ont soutenu veulent sortir le football de sa base, de son origine en voulant faire croire que ce sport peut s’intellectualiser alors qu’il n’est qu’instinctif et enfantin. Il faut être intelligent pour être un grand footballeur ou un grand coach. Avoir une intelligence pure ou animale, peut importe, mais il faut être intelligent, ce n’est pas discutable. Mais il y a une différence entre un homme intelligent et un intellectuel. Domenech est parvenu à faire croire à certain qu’il l’était davantage que d’autres. En balançant deux ou trois citations de Gustave Le Bon, en faisant croire qu’il était féru de théâtre, il est parvenu, lui le borgne, à passer pour un intellectuel au pays des aveugles. » Très différent de ses prédécesseurs qui étaient plus proche du peuple, Raymond Domenech, lui, cultive ses contrastes. Fan de poker et astrologue amateur, il n’hésitera à déclarer en 2005 « Il y aura 23 joueurs à choisir. Quelque part, je ne dis pas que ça ne m’influencera pas. Tous les paramètres vont entrer en ligne de compte. Moi, j’en ai rajouté un avec l’astrologie, qui est très minime mais qui est vraiment au bout de la chaîne. »
Finalement, lâché par ses joueurs lors de la grève de Knysna, lâché par la presse et lâché par tous les français, Raymond Domenech quittera ses fonctions de sélectionneur après le fiasco sud-africain en juillet 2010. Seul au monde. Mais la page Domenech ne se tourne pas si facilement. Il continuera de truster les journaux, les panneaux publicitaires et les plateaux TV. En cause, les insultes de Nicolas Anelka, ses indemnités de licenciement qui s’élèveront à 975 000 euros ainsi que plusieurs « coups de pubs » comme son pointage à Pôle Emploi et ses entraînements des U13 de l’Athlétic de Boulogne-Billancourt. Si d’un côté son personnage est en tout point détestable, force est de constater qu’il fascine encore et toujours, même après une période de disette.
Pourquoi son livre se vend autant ?
Sorti en novembre dernier, son livre de « souvenirs » comme il le décrit, a été le best-seller de cette fin d’année avec pas moins de 130 000 ventes effectives. Pourquoi ce succès ? Bruno Godard l’explique ainsi « les Français ont eu envie de comprendre l’incompréhensible ». Pourtant, le livre de Raymond Domenech ne contient ni scoop ni information méritant que l’on s’y attarde comme le souligne Bruno Godard « Les supporters ont voulu acheter le livre de Domenech en espérant avoir quelques réponses à leurs questions. Ils ont été certainement très déçus car, quand l’ancien coach des Bleus se contente de tout mettre sur le dos des joueurs. Il n’explique rien, se contente de livrer une analyse après coup, en utilisant une malhonnêteté intellectuelle qui force le respect. Il a alors beau jeu de mettre l’accent sur certains événements, en oubliant bien entendu de préciser qu’il est à l’origine de nombre de maux qui ont frappé l’équipe de France. Il était à la tête de l’équipe de France, alors il était le responsable numéro un de tout ce qu’il s’y passait. Il n’y a que deux cas de figures possibles : ou bien il est complice ou bien il est incompétent. En fait , je pense que les Français ont voulu avoir la réponse à cette question. Pour ma part, je pense qu’il est les deux… ».
Nasri et Mélenchon
D’un autre côté, le succès du livre peut s’expliquer par une vraie démarche d’adhésion de la part du public. En effet, qui n’a jamais rêvé d’être sélectionneur de l’équipe de France ? Qui n’a jamais rêvé d’entrer dans un vestiaire composé de Nasri, Ribéry ou encore Benzema ? Les français qui ont acheté « Tout seul » se sont identifiés à Raymond Domenech. À la lecture du livre, le lecteur s’est mis dans la peau de l’entraîneur, il s’est approprié l’histoire, comme s’il en avait été le principal protagoniste. Si cela peut justifier les longues files d’attente aux séances de dédicaces du livre, un autre point important peut en être la cause. Le public français est avide de tout ce qui est ‘croustillant’. Et « Tout seul » l’est, croustillant. La preuve avec ces déclarations tirées de l’œuvre « Ribéry, lui, continuait à pourrir le groupe par ses attitudes de diva susceptible. Quand j’ai voulu le remercier, il m’a envoyé paître en retirant son bras : Ne me touchez pas ! Tout Ribéry qu’il était, je l’aurais volontiers accroché au plafond. », « Samir Nasri symbolise cette dérive des joueurs ne pensant qu’à leur gueule. Au sein d’un groupe, il vient toujours appuyer là où ça fait mal et révèle la faille au lieu de la colmater […] et dans sa position de meneur de jeu, il fait seulement illusion. », « J’avais envie de lui mettre des gifles avec son air de garçon candide, de pauvre petit malheureux à qui on veut du mal, un meneur, c’est un guerrier, pas un suiveur, réveille-toi, Yoann. » Des phrases assassines envers les joueurs qui plaisent au grand public en manque de sensationnel, d’extraordinaires avec les bien lisses Laurent Blanc et Didier Deschamps, eux qui ne font pas de bruit et se contentent, et c’est tout à leur honneur, de parler football. Pendant que ces deux joueurs issus du lobby France 98 se tapissent dans l’ombre, Raymond Domenech lui, suit la courbe d’un président sortant, à l’image de Nicolas Sarkozy. Détesté pendant l’exercice de ses fonctions, il est revenu aux avant-postes une fois qu’il ne jouait plus aucun rôle. C’est ce que l’on appelle la nostalgie. Autre point commun avec Nicolas Sarkozy : la pipolisation de ses discours et de ses fréquentations. Désormais, il n’hésite pas à participer à des émissions de télévision et à se prononcer ouvertement en faveur de Jean-Luc Mélenchon par exemple. Chroniqueur à la radio et consultant foot sur Ma Chaîne Sport, Raymond Domenech semble avoir un besoin incompressible de reconnaissance comme le remarque Bruno Godart « ce qu’il veut par dessous tout , c’est être dans la lumière. C’est pour cela qu’il a écrit ce livre, livrant en pâture au bon peuple crédule les joueurs de football qui sont considérés comme des enfants gâtés, immatures et ne pensant qu’à l’argent. Alors qu’en fait, Domenech n’est que le symbole d’un système éducatif incapable de s’adapter aux évolutions de notre société. Il me fait penser à un enseignant qui explique que la cause du désintérêt de ses élèves pour sa matière est dû à Internet et aux nouvelles technologies, sans imaginer une seule seconde que c’est sa pédagogie qui est en cause. Domenech, finalement, ce n’est que ça : un prof sans envergure, incapable de gérer un groupe de jeunes élèves, et totalement inapte à lui transmettre des valeurs… »
Aimé ou détesté, l’ancien sélectionneur semble se complaire dans cette bivalence. En tout cas, il a réussi son retour médiatique, et sur ce point-là, on ne peut que l’applaudir.